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DE LA CITOYENNETE POLITIQUE A LA CITOYENNETE FINANCIERE
L'histoire de l'investissement socialement responsable (ISR) remonte à plusieurs siècles. Les investisseurs religieux de confession juive, chrétienne et islamique ainsi que de nombreuses cultures indigènes ont longtemps mêlé argent et morale, prenant en considération les conséquences de leurs actions économiques et refusant les investissements qui entraient en contradiction avec leurs conviction profondes.

Ce fondement religieux, qui n'a pas totalement disparu aujourd'hui, s'est arrimé, dans le contexte des Etats-Unis des années 70, à un fondement beaucoup plus large, davantage citoyen et politique, qui trouve son origine dans les bouleversements sociaux et culturels des années 60, en particulier les mouvements de lutte pour les droits civiques, les mouvements féministes, consuméristes, environnementalistes ou encore le mouvement de contestation contre la guerre au Vietnam. Ces préoccupations ont donné naissance à une véritable conscience publique au sujet des problèmes sociaux, environnementaux et économiques ainsi que de la responsabilité des entreprises à leur égard.

Cette évolution est parfaitement illustrée par une anecdote vécue, en 1967, par Luther Tyson et Jack Corbett qui travaillaient, à Washington, pour le Conseil de l'Eglise et la Société de l'Eglise méthodiste unie, sur des questions comme la paix, le logement et l'emploi. Tyson reçut une lettre d'une citoyenne de l'Ohio qui lui posait une question simple : "Existe-t-il un fonds commun de placement qui gère mon épargne-pension sans investir dans l'industrie militaire ?". Au terme d’une recherche bien menée, à sa plus grande surprise, Tyson dut faire l’amer constat qu’il n’existait pas de fonds répondant à cette exigence. Un an plus tard, retour de France où il s’était rendu en tant que membre d'une délégation surveillant les entretiens de paix de Paris qui ont permis de négocier la fin de la guerre du Vietnam, il décida qu'il était temps de créer des fonds qui répondent aux attentes de cette habitante de l'Ohio et de tous les autres investisseurs qui avaient les mêmes préoccupations qu’elle.

C'est ainsi que Luther Tyson et Jack Corbett ont créé, en 1971, le Pax World Fund. Avec le Dreyfus Third Century Fund, créé l'année suivante, ce fut le premier fonds à proscrire l'énergie nucléaire et les contrats militaires de son portefeuille d’investissements. Ce fut aussi le premier fond à prendre en considération des critères sociaux dans sa gestion. Le Pax World Fund et le Third Century Fund marquent l’émergence de l’ISR au sein de la société civile et la prise en compte de critères extra-financiers, à caractère plus politique, dans la gestion financière. Cette tendance allait se confirmer avec le mouvement de lutte contre le régime de l'apartheid sévissant en Afrique du Sud.

LE BOYCOTT DE L'AFRIQUE DU SUD DE L'APARTHEID.

En 1973, la population noire d’Afrique du Sud a lancé, dans le cadre de sa lutte pour abolir l'apartheid, un appel à la communauté internationale afin qu'elle exerce diverses formes de boycott, de retrait d’investissement et de sanctions à l’égard du régime sud-africain.

Dès 1971, à l’initiative de l’un de ses nouveaux administrateurs — le Révérend Leon Sullivan, qui était le premier Noir américain nommé au conseil d’administration d’une multinationale —, une première résolution de vote, proposant la cessation des activités en Afrique du Sud, avait été soumise à l’assemblée générale de General Motors.

Parmi les nombreuses parties qui ont préparé le terrain pour que cesse l'apartheid en Afrique du Sud figure le mouvement de l'ISR, en particulier aux Etats-Unis. Ce mouvement débuta vers la fin des années 70, prit de l'ampleur tout au long des années 80 et eut pour effet que de nombreuses institutions retirèrent de leur portefeuille d'investissement les actions des sociétés qui ont continué à faire des affaires avec le régime raciste. Ce mouvement de désinvestissement a amplifié l'intérêt pour les fonds communs de placement investis de façon responsable.

La montée en puissance de cette campagne anti-apartheid s’est traduite par le départ de plus des deux tiers des entreprises américaines implantées en Afrique du Sud. Mais il aura fallu attendre 1993 pour que l’Assemblée générale de l’ONU lève finalement les sanctions économiques contre l’Afrique du Sud tout en maintenant l’embargo sur le pétrole et les armes, répondant ainsi à l’appel du président de Nelson Mandela, qui avait demandé la levée de ces sanctions, estimant que « le compte à rebours vers la démocratie » en Afrique du Sud avait commencé.

Cette victoire allait-elle mettre un terme à l'ISR fondé sur la défense des droits humains, voire à l'ISR tout court ? C'était en tout cas une opinion largement répandue à l'époque aux États-Unis. Il n'en a, pourtant, rien été puisque le rapport 1995 du Social Investment Forum (SIF) américain montrait notamment que 78 % environ des gestionnaires de fonds privés qui ont soutenu le démantèlement de la ségrégation en Afrique du Sud continuaient à gérer des portefeuilles ISR pour leurs clients deux ans après la fin de la campagne de désinvestissement.

Par ailleurs, le mouvement anti-apartheid allait laisser d'autres traces tangibles en matière de responsabilité sociale des entreprises : en 1977, le Révérend Leon Sullivan édictait les « Sullivan Principles », code de conduite pour la promotion des droits de l’homme et de l’égalité des chances à destination des entreprises intervenant en Afrique du Sud. Vingt ans plus tard ils ont été révisés, élargis et rebaptisés Global Sullivan Principles for Corporate Responsibility, puis relancés par les Nations unies et un groupe de multinationales le 2 novembre 1999. Ils exigent des entreprises qu’elles contribuent à « promouvoir la justice économique, sociale et politique » là où elles opèrent.

En Belgique aussi, cette longue lutte de boycott et de désinvestissement des entreprises présentes en Afrique du Sud allait être à l'origine de réflexions et d'initiatives en matière d'éthique et de solidarité financière. C'est ainsi qu'à la fin des années 70 sont nées des initiatives d’épargne et de prêt de proximité, rapidement suivies de la création de structures comme Crédal et le Réseau Financement Alternatif et de leur homologues néerlandophones, Hefboom et Netwerk Vlaanderen.

LA BIRMANIE EST L'AFRIQUE DU SUD DES ANNEES 90

On le voit, la préoccupation politique est désormais au coeur de la démarche d'investissement socialement responsable. Comment, en effet, concilier citoyenneté politique, fondée sur le vote démocratique, et citoyenneté financière, sinon en privant de financement les entreprises qui soutiennent directement ou indirectement des régimes non démocratiques?

C'est évidemment le cas de la Birmanie qui vit, depuis 1962, sous le joug d'une dictature militaire. En 1988, l'armée réprima violemment un mouvement de protestation contre la situation économique et politique en ouvrant le feu sur la foule qui protestait. La conséquence indirecte de ce mouvement fut qu'il permit la tenue d'élections en 1990. Elles virent la victoire de la NLD (National League for Democracy) dirigée par Aung San Suu Kyi mais elles furent annulées ensuite par la dictature militaire. Cela provoqua un scandale au niveau international. Suu Kyi reçut cette année-là le prix Sakharov et le prix Rafto puis le prix Nobel de la paix l’année suivante. Elle fut tour à tour emprisonnée, libérée puis assignée à résidence.

En 1993, lorsque l'Archevêque Desmond Tutu, qui avait reçu le Prix Nobel de la paix en 1984 pour son combat pacifiste contre le régime de l'apartheid, eut connaissance des brutalités commises par la junte contrôlant la Birmanie, il décrivit celle-ci comme « l'Afrique du Sud des années 90 ». Et de déclarer : « Il est temps aujourd'hui d'admettre que la politique de l'engagement constructif [avec le gouvernement militaire birman] est un échec (…). La pression internationale peut faire changer les choses. Ce furent des sanctions dures qui amenèrent finalement (…) l'aube d'une ère nouvelle dans mon pays. C'est là le langage qu'il convient de parler avec les tyrans, car c'est là, hélas, le seul qu'ils comprennent. »

Aung San Suu Kyi elle-même lança divers appels en ce sens : « Je voudrais en appeler à ceux qui sont prêts à utiliser leurs talents pour promouvoir la liberté intellectuelle et les idéaux humanitaires, afin que, sur le principe, ils prennent position contre les entreprises qui font des affaires avec le régime militaire birman. Que votre liberté puisse servir la nôtre. »

Ces appels ne sont pas restés sans réponse : des entreprises comme Pepsi, Levi's, Interbrew, Carlsberg, Heineken, Reebok, C&A, Hewlett-Packard, Ericsson, Adidas-Salomon, H&M, IKEA, Newmont ou British Petroleum ont choisi de se retirer de Birmanie. Mais il faut bien constater que d'autres multinationales, basées en Europe pour beaucoup, continuent à jouer un rôle clef dans l'appui à l'économie birmane qui finance la junte. Cinq des plus grands groupes bancaires présents en Belgique (Axa, DEXIA, Fortis, ING et KBC) investissent quant à eux massivement dans ces entreprises présentes en Birmanie, apportant ainsi un soutien financier (plus de 2,5 milliards $) à des entreprises qui soutiennent la junte militaire en place. Seule KBC a réagi en retirant, en avril 2006, TOTAL de ses fonds d'investissement éthiques.

26 communes belges se sont depuis lors émues de cette situation et ont voté une motion par laquelle elles nomment Aung San Suu Kyi citoyenne d’honneur de leur commune, interdisent tout investissement des finances communales ainsi que tout achat de produits d'entreprises actives en Birmanie et interpellent leurs banques pour qu’elles cessent d’investir dans les sociétés actives en Birmanie.

Le monde bancaire belge reste cependant sourd à ces appels et, par conséquent, les économies que chacun peut placer sur un compte d'épargne ou investir dans un fonds de placement continuent, au moins en partie, à soutenir les entreprises qui persistent à faire des affaires avec la junte birmane. A l'instar de la réaction citoyenne qui s'est développée en réaction au régime d'apartheid, la seule réponse possible est, ici aussi, de priver de financement les entreprises qui soutiennent directement ou indirectement la junte birmane en enjoignant aux banques d'arrêter immédiatement de financer ces entreprises avec nos dépôts. On le voit, la prise en compte de critères extra-financiers à caractère plus politique dans la gestion financière, initiée par Luther Tyson et Jack Corbett en 1971, reste plus que jamais d'une brûlante actualité et nécessité.

ID: 40994
Author(s): RFA
Publication date: 07/04/07
   
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Created: 10/03/08. Last changed: 10/03/08.
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