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SUBPRIME – Déjà en octobre 2006, L’Expansion expliquait les pratiques malsaines et la source de la future crise dans un article sur l’Etat d’Ohio aux Etats-Unis.
COUP DE BLUES DANS LES CLASSES MOYENNES
Béatrice Mathieu, envoyée spéciale dans l'Ohio - 01/10/2006 - L'Expansion

RETOURNEMENT DU MARCHE IMMOBILIER, ENDETTEMENT CROISSANT, DELITEMENT PROGRESSIF DU SYSTEME DE SANTE ET DE RETRAITE... L'INQUIETUDE GAGNE LES BANLIEUES RESIDENTIELLES. REPORTAGE A COLUMBUS.

Le père Michael, avec sa carrure de bûcheron et son visage rondouillard mangé par une épaisse barbe brune, inspire immédiatement la sympathie. En ce dimanche, il sourit pourtant avec perplexité, ne sachant trop s'il doit se réjouir ou s'inquiéter. Certes, la petite église Saint-Mary, qui abrite la communauté catholique de Columbus (Ohio), est pleine à craquer. « Mais si le dimanche les familles viennent en plus grand nombre qu'avant, explique-t-il, on les sent aussi plus préoccupées. Beaucoup commencent à se demander si l'argent dépensé en Irak ne serait pas mieux employé à réduire la pauvreté. »

Après la messe, tout ce monde se presse dans une petite salle attenante pour avaler un café noir allongé et quelques donuts. Les ouailles du père Michael parlent de la bataille électorale, du prochain match des Buckeyes, l'équipe de football locale, mais également de la flambée des prix de l'énergie qui a grevé le budget des vacances. Ce qui ne les empêche pas, un peu plus tard, de sauter dans leurs 4 x 4 ou leurs pick-up, rouges de préférence - la couleur de l'Ohio -, pour regagner leurs vastes maisons entourées de jardins impeccablement entretenus.

Pourtant, derrière cette image de bonheur paisible, on sent que cette vitrine du rêve américain se fissure. Une angoisse sourd au sein de la classe moyenne : la peur de glisser dans l'armée grandissante et muette des travailleurs pauvres. « Aujourd'hui, les ménages ont une perception négative de l'économie. Ils sont de moins en moins convaincus que leurs enfants vivront mieux qu'eux », analyse Steven Mangum, doyen de la prestigieuse Fisher Business School de Columbus. Ce n'est pas la dépression, loin de là. Juste le début d'une remise en question de ce mode de vie fondé sur un endettement toujours croissant.

A l'origine de ces doutes, il y a le dégonflement de la bulle immobilière. Il suffit de sillonner les immenses banlieues résidentielles qui ont poussé de façon concentrique autour du coeur financier et administratif de Columbus pour se rendre compte de la violence du coup de froid. Plantés sur des pelouses grasses et verdoyantes, entre le drapeau américain et le panneau de basket, les pancartes « for sale » (à vendre) barrées d'un grand «new price » (nouveau prix) ou «price reduced » (prix réduit) se comptent par centaines.

Antony Sanders est professeur de finance à l'université d'Etat de l'Ohio. Il est surtout l'un des meilleurs spécialistes de l'immobilier aux Etats-Unis. « Le retournement est déjà bien enclenché, et les banques qui ont prêté les yeux fermés pendant des années vont s'en mordre les doigts », prévient-il. Harley Rouda, le patron de Real Living, le plus important réseau d'agences immobilières de la ville, reconnaît qu'il a en stock 40 % de maisons à vendre de plus qu'il y a un an. Pour les promoteurs immobiliers qui s'étaient lancés dans des projets pharaoniques, le réveil est brutal.

Robert Schottenstein est le directeur général de M/I Homes, le quatrième constructeur de maisons individuelles aux Etats-Unis et le premier dans le Midwest. Dans son bureau aux larges baies vitrées donnant sur un noeud d'autoroutes, l'unique mur est couvert de photos de vacances, au Cap-Ferrat, sur la Côte d'Azur, où il espère un jour acheter une villa. Mais Robert Schottenstein devra peut-être renoncer à son rêve. Son bronzage orangé masque mal ses traits tirés : début septembre, les ventes de maisons M/I Homes à Columbus étaient inférieures de 50 % à celles de l'an passé, et la marge bénéficiaire de l'entreprise a chuté de 15 %. « J'ai dû licencier un tiers des effectifs et on a diminué nos prix de près de 10 %. D'autres baisses de tarifs, d'au moins 20 %, sont dans les tuyaux », confesse-t-il, en ajoutant aussitôt qu'il ne confierait jamais ça à un journaliste local, de peur de faire chuter encore davantage le marché.

Kelly Kinzer et Nathan Malone sont, eux, ravis de la tournure des événements : ils viennent d'emménager à Hilliard, une zone résidentielle sortie de terre il y a cinq ans. Des dizaines de maisons en bois peint, identiques, s'alignent le long de rues sinueuses bordées de catalpas et de marronniers. Au rez-de-chaussée, un gigantesque canapé crème trône au milieu du salon et un grand téléviseur à écran plat est accroché au mur comme unique décoration. « On a fait une bonne affaire. Les propriétaires ne pouvaient plus payer leur crédit, alors on a fait baisser le prix de 15 % », explique Kelly Kinzer. Fraîchement diplômé, le jeune couple s'est endetté pour trente ans. Et entre leur crédit immobilier, celui nécessaire à l'achat du coupé japonais garé devant le garage et deux emprunts étudiants, les futurs mariés consacrent près de 60 % de leurs revenus au remboursement de leurs dettes ! Rien d'exceptionnel. Aux Etats-Unis, le taux d'endettement moyen des ménages frôle les 130 % du revenu disponible. Et jusqu'à présent personne ne s'en souciait.

Reste qu'avec la remontée des taux d'intérêt, de nombreux ménages sont aujourd'hui pris à la gorge, incapables de faire face à leurs échéances. Or l'impact de la hausse du loyer de l'argent est démultiplié par la complexité des montages financiers proposés aux emprunteurs. Au cours des dernières années, les banques ont fait preuve d'une imagination débordante pour rendre solvables des ménages qui n'auraient jamais pu acheter ces grandes maisons dont les prix avoisinent les 300 000 ou les 400 000 dollars (de 236 000 à 315 000 euros).

Ces crédits qu'on appelle « exotiques » ont fait un tabac à Columbus. Les plus répandus, les « buy down loans », sont terriblement dangereux : pour un emprunt au taux moyen de 6 %, les banques proposent le paiement durant les trois ou cinq premières années de mensualités réduites fondées sur un taux d'intérêt de 2 %. Ensuite, le taux grimpe à 8 %. Les charges de remboursement peuvent alors aisément doubler. « Les ménages étaient persuadés que leurs revenus allaient nettement progresser. Tant que le marché était porteur, en cas de problème, ils pouvaient toujours céder leurs biens pour rembourser leur emprunt tout en gagnant un peu d'argent. Maintenant ils vendent leur maison moins cher qu'ils ne l'ont achetée », explique Jerri Hall, responsable des crédits immobiliers à la Huntington National Bank.

Aujourd'hui, le taux de défaut sur les emprunts immobiliers est deux fois plus élevé qu'en 2003. Moulée dans une robe fleurie, Jerri Hall affiche l'assurance tranquille des gens qui estiment n'avoir rien à se reprocher. « Nous travaillons avec des associations qui expliquent aux futurs propriétaires tous les pièges d'un crédit immobilier. Beaucoup n'ont pas réalisé qu'ils devraient se meubler, se chauffer, payer des impôts locaux. » Et elle assure que sa banque n'a jamais poussé au surendettement, renvoyant la faute aux « mortgage lenders », des établissements spécialisés dans le crédit immobilier. Pourtant, c'est bien la Huntington National Bank qui vient d'accorder un crédit immobilier sur trente ans pour l'achat d'une ravissante maison dans une résidence sécurisée à Johann et John Pabor, respectivement... 77 et 84 ans !

Pour certaines familles, la vie calme qu'elles menaient dans ces grandes banlieues endormies a même tourné au cauchemar. Mark a 51 ans et il habite depuis trois mois dans un foyer d'urgence. Dans sa chambre d'une vingtaine de mètres carrés, l'air empeste le tabac froid. Il y a un an tout juste, Mark vivait avec sa famille dans une des grandes demeures de style victorien d'Upper Arlington, une des banlieues les plus chic de la ville. Une maison achetée grâce à l'un de ces fameux crédits exotiques. Il tenait un restaurant, possédait trois voitures et un portefeuille rempli de cartes de crédit. « J'ai fait faillite au début de l'été 2005, raconte-t-il. Après, tout a été très vite, ma maison a été hypothéquée par la banque et les impayés se sont accumulés. Ma femme et ma fille sont reparties dans l'Illinois et je me suis retrouvé à la rue. » Six mois de galère durant lesquels sa seule source de revenu a été la vente de son sang : 850 millilitres deux fois par semaine pour 30 dollars. « Jamais je n'aurais cru en arriver là », constate-t-il en jetant un bref coup d'oeil au « là » en question. Il penche la tête puis la redresse brusquement en se frottant les mains. « Mais je viens de retrouver un job, je commence la semaine prochaine. » Impossible de passer pour un loser, un perdant, au pays de l'Oncle Sam. Ironie de l'histoire, Mark va travailler dans une société d'outplacement. Il sera payé entièrement à la commission et ne bénéficiera d'aucune couverture sociale. Résistera-t-il désormais aux sirènes de la vie à crédit ? Difficile à dire tant les tentations sont nombreuses.

Dans cette concession Chevrolet proche du centre-ville, on peut acheter un 4 x 4 Avalanche pour environ 40 000 dollars, avec un crédit gratuit sur soixante-douze mois, quelle que soit sa situation financière. Le pouvoir d'achat est moins déterminé par le salaire que par la capacité à rembourser ses dettes. Les ménages disposent en moyenne d'une dizaine de cartes bancaires, qui ouvrent des lignes de crédit pouvant aller jusqu'à 10 000 dollars chacune. « Peu importe le nombre de prêts que vous avez contractés. Si vous êtes capable de les rembourser sans incident, les banques vous prêteront encore davantage, à des taux vraiment intéressants », raconte Jody Dierksheide, un architecte d'intérieur trentenaire. Un cercle vicieux dans lequel le jeune homme a plongé. « Sans l'aide de mes parents, j'aurais été obligé de me déclarer en faillite personnelle. » Des sociétés comme Equifax se sont ainsi spécialisées dans la notation des emprunteurs. Comble du système, une famille peu endettée paraîtra suspecte et on hésitera à lui faire crédit car elle n'aura pas encore prouvé sa capacité à honorer des dettes.

Il suffit parfois d'un pépin de santé pour que tout bascule. Près de 16 % de la population (46,6 millions de personnes) vivent sans couverture médicale : le plus haut niveau depuis 1998. Sans assurance, certains devront rembourser parfois pendant dix ans les frais d'hospitalisation liés à une banale intervention chirurgicale. La protection sociale n'est pas un bien commun, mais un avantage proposé par l'entreprise. Elle fait partie du « paquet », au même titre que le salaire, le plan d'épargne retraite ou la voiture de fonction.

John Ennis, directeur du personnel de Battelle, la première fondation privée de recherche au monde, explique que, plus que le salaire, la nature des soins couverts par l'assurance ainsi que le montant de l'abondement de l'entreprise font souvent la différence lors d'un recrutement. Reste que ce « cadeau » coûte de plus en plus cher aux entreprises : les primes d'assurance ont progressé de près de 10 % en moyenne par an depuis 2000. Alors, certains employeurs n'en proposent plus, en particulier à leurs salariés à temps partiel.

Lisa Hess a 47 ans et travaille comme assistante commerciale à Nationwide, une des plus grosses compagnies d'assurances des Etats-Unis. Elle est mariée depuis une dizaine d'années avec Bob, de 27 ans son aîné. « Quand mon mari a pris sa retraite, il y a deux ans, j'ai voulu travailler moins pour être davantage avec lui. Mais j'aurais alors perdu à la fois mon assurance-santé et le droit de contribuer au plan de retraite de l'entreprise. Ma décision a été rapidement prise. J'ai continué de travailler à plein-temps », raconte-t-elle. Aux Etats-Unis, 11 % seulement des salariés à temps partiel sont assurés.

« Ici, les employés des supermarchés Wal-Mart ou de McDonald ne bénéficient d'aucune couverture sociale », explique Mark Sweazy, le président de la section locale du puissant syndicat UAW. Ce quinquagénaire ressemble à Michael Moore, le réalisateur de Fahrenheit 9/11, Palme d'or à Cannes en 2004. Il en a aussi le discours. La chemise hawaïenne ouverte sur une grosse croix en or, il sillonne la ville dans un pick-up sur lequel est peint un homme en train d'uriner sur un énorme W, entendez George W. Bush. Il s'enflamme : « Comment voulez-vous que ces gens se soignent correctement quand la cotisation pour une assurance-santé peut atteindre 800 à 1 000 dollars par mois pour une famille avec deux enfants ? »

Le délitement progressif du système de santé n'est cependant rien au regard de l'implosion des régimes de retraite. Le système mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale est en train de disparaître. Comme beaucoup de grandes entreprises américaines, JPMorgan Chase, qui emploie 12 000 salariés à Columbus, a gelé son ancien plan de retraite à prestations définies, le remplaçant par un fameux « 401k ». « J'y place chaque mois 6 % de mon salaire, et mon employeur ajoute la moitié de cette somme. Presque toute mon épargne est investie dans des actions JPMorgan », raconte Tim Walleke, un analyste financier dont le petit bureau vitré donne sur la Sciotto River, dans le centre des affaires de la ville.

Travailler dans une grande entreprise est souvent la meilleure garantie pour bénéficier d'une bonne protection sociale. Mieux encore, il faut être fonctionnaire, ce qui demande un diplôme de l'enseignement supérieur. « Deux années d'université, c'est le minimum aujourd'hui pour dégoter un bon job. Mais comment pourront faire les gens alors que les coûts de l'éducation vont encore progresser avec la baisse des subventions publiques ? » s'interroge Steven Mangum, le doyen de la Fisher Business School.

Jessica Schutz est en dernière année à l'Ohio State University. Elle a beaucoup de chance. Non seulement elle est jolie comme une image de magazine de mode, mais elle a aussi une tête bien faite. Ses brillants résultats lui ont valu une bourse qui couvre une grande part des 10 000 dollars de ses frais d'inscription annuels ; et encore elle étudie dans un établissement public bénéficiant du concours de l'Etat de l'Ohio. A Capital University, une école privée de marketing très cotée de Columbus, il faut débourser 25 000 dollars par an. « Tous mes amis ont dû avoir recours à des emprunts étudiants, car leurs parents ne peuvent pas financer l'intégralité de leurs études. Il leur faudra cinq à dix ans pour les rembourser », explique Jessica.

Janet et Curt Hansen ont choisi de mettre leurs deux enfants dès leur plus jeune âge dans une école privée, la Wellington School. « Cette année, nous allons payer près de 30 000 dollars de frais d'inscription, presque l'équivalent de mon salaire annuel. C'est un vrai sacrifice financier, mais nous avons ainsi la certitude que nos enfants pourront intégrer une bonne université », affirme Janet Hansen, psychologue pour enfants. Quatorze bambins par classe, apprentissage d'une langue étrangère dès 5 ans, cours de musique, de théâtre et de sciences... les Hansen en ont pour leur argent. Mais combien de familles peuvent-elles s'offrir ce luxe ? L'école et l'université fonctionnent de moins en moins comme une machine à redistribuer les cartes sociales. Assise sur des monceaux de dettes, inquiète de la montée des insécurités individuelles et de l'affaiblissement progressif des protections collectives, la classe moyenne, moteur du rêve américain, doute. C'est le grand échec des années Bush.

ID: 40974
Author(s): SCR
Publication date: 22/02/08
   
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Created: 27/02/08. Last changed: 27/02/08.
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